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La Suisse, si loin, si proche

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Joël Dicker, écrivain suisse à la renommée internationale, a publié en 2020 un savoureux roman : « L’énigme de la chambre 622 ». Il n’y a pas que cette chambre imaginaire du Palace de Verbier qui est énigmatique. La Suisse, vue de France, est en elle-même une énigme. On croit souvent connaître ce pays à force de l’imaginer à grand renfort d’images d’Épinal : des paysages verdoyants, des montagnes bordant des lacs, des chalets aux balcons fleuris, des horlogers, des banques, du chocolat. Cette Suisse si proche avec laquelle nous partageons 572 km de frontières franchies chaque jour par plus de 80 000 travailleurs frontaliers, sait être aussi insaisissable.

Il y a d’abord des chiffres et des faits. 74 % de la population (qui compte 8,8 millions d’habitants) est essentiellement urbaine. Sa superficie (41,290 km2) correspond à 1,5 fois la région Bretagne. La Confédération helvétique a pour principal partenaire commercial l’Union européenne (66 % des importations suisses proviennent de l’UE et 48 % de ses exportations y sont destinées). Le long de la frontière Franco-suisse, les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est comptent presque 50 % des échanges commerciaux entre les deux pays. Son produit intérieur brut (PIB) par habitant fait partie des 5 plus élevés au monde.

Ses industries phares (technologies de l’information, matériaux, micromécanique, biotechnologies, industrie pharmaceutique) sont autant d’atouts lui permettant de générer par l’exportation plus de 50 % de son PIB et d’investir plus de 3 % de ce dernier dans la R&D. Troisième investisseur en France, la proximité entre les pays est historique mais il faut la renouveler de manière continue1.

Si loin de nous, le fédéralisme suisse contribue largement à la capacité d’innovation et à la compétitivité du pays. Il protège les minorités (linguistiques, culturelles, religieuses ou liées à la géographie), favorisant ainsi la cohésion interne. La structure fédérale est très exigeante en matière de gestion politique. Pour chaque décision, il faut impliquer un grand nombre d’acteurs à tous les niveaux de l’État, mettre en balance leurs différentes préoccupations, parfois contradictoires, et mener des discussions politiques, parfois longues, pour trouver des compromis. C’est la clé du succès du fédéralisme : les gouvernements, qu’ils soient fédéral, cantonal ou communal, sont contraints de peser le pour et le contre et d’agir avec discernement. Il en résulte des décisions équilibrées et durables2.

Au terme de ce dossier, des témoignages viennent faire valoir le pragmatisme suisse et traduire une légendaire lenteur, en patience pour s’adapter au monde accéléré. Ainsi qu’une capacité d’innovation qui ne tourne pas le dos aux traditions. Il en ressort un pays apparemment calme face aux défis actuels. La Suisse veut-elle signifier qu’elle poursuit son histoire sans histoire, préservant son modèle de démocratie et sa vitalité économique ?3, Gardons les mots de Victor Hugo (La légende des siècles – 1859), à l’esprit : « La Suisse dans l’histoire aura le dernier mot »...

 

Laurence Lemouzy

1 Voir entretien avec Roberto Balzaretti, p. 36
2 Voir entretien avec Markus Dieth, p.45
3 Voir article de Michel Machicoane Stocker, p. 79